Ours en peluche regardant la pluie à travers une vitre
Du temps et des souvenirs

Du temps et des souvenirs

« Le temps croque nos jours
Nous entraîne en son cours
Le temps nous rend plus vieux
En serait-il heureux ?
Le temps nous voit flétrir
Y prendrait-il plaisir ?
Mais est-il notre ami
Où bien notre ennemi ? »

Tiens ! Puisque je parle du temps…
Je l’ai croisé, l’autre jour
Poli, je lui ai dit « Bonjour ! »
Mais de lui rien n’est venu
Quel goujat, ce parvenu
Il marchait dignement
Pressé, évidemment
Intrigué et troublé

Je l’ai interpellé :
– Eh, toi, le temps, dis-moi, où vas-tu de ce pas ?
Courrais-tu, affamé, après quelque repas ?

Le temps me regarda, sur les lèvres un sourire
Que seule l’arrogance, je crois, pourrait décrire

– Si tu me vois pressé bien plus que d’ordinaire
C’est que mes pas m’amènent à un anniversaire.
Prestement je me rends à la cérémonie
Où m’attend le gâteau orné de la bougie
C’est qu’aujourd’hui l’on fête, en totale inconscience
Douze mois d’une vie passés dans l’insouciance
Une année qui s’ajoute à l’âge du berceau
Où déjà quarante ans sont frappés de mon sceau
Ah, je ris de vous voir, humains en décadence
Fêter joyeusement, hypocrite innocence
Une année qui, parfois, si elle vous fait chanter
Contre moi vous aura entendu maugréer
Voilà pourquoi ce jour, j’honore cet endroit
Car souffler la bougie, il me revient le droit

Face à de tels propos, je ne pouvais me taire
Et outré lui servit subtil argumentaire

– Ne te suffit-il pas en maître autoritaire
De rythmer notre vie plus qu’il n’est nécessaire
Pour que tu ais besoin de venir en séance
T’inviter en ce lieu en toute inconvenance

Le temps se redressa, me toisa crânement
Puis, mielleux, décocha son trait insolemment

– L’aurais-tu oublié ? Je suis maître des heures
Des jours et des années, éphémères demeures
Où je me tiens caché, jubilant de vous voir
Vieillir anxieusement, subissant mon vouloir

Arrogant en ses mots, de l’orgueil à foison
Il se devait d’ouïr la voix de la raison

– Prétentieux, orgueilleux, oui, tu l’es par nature
Faisant résolument péché de démesure
Les mois, les jours, les heures, ma fois, s’ils sont ton œuvre
Des humains ont besoin pour devenir chefs-d’œuvre
Devenus souvenirs dès que l’instant expire
Ces moments à jamais deviennent ce respire
Qu’une simple pensée, en peine ou en bonheur
Fait renaître en secret, au fond de notre cœur

À ces mots je me vis gratifié d’un sourire
Doublé d’un geste odieux… que je n’ose décrire (un doigt !)

– Pourquoi ai-je accepté, moi le temps souverain
De m’attarder ainsi, vers toi, maudit humain
Tu as freiné mon cours ; je vais être en retard
Pour souffler la bougie, déjà il se fait tard.

Craignant de voir le temps me fausser compagnie
Je repris sans tarder d’une voix qui supplie

– Attends ! Ecoute-moi ; quelques mots pour finir
D’honorer ce moment tu devrais t’abstenir
Ne façonne-t-il pas, lui-même un souvenir
À qui tu ne voudrais voir aucun avenir
Allons ! Sois beau joueur, accepte la présence
De cet auguste intrus, qui est ta résurgence
Car si le souvenir, infiniment perdure
Ton fugitif instant, hélas, jamais ne dure
Oui ! Je te le dis ; d’hier ou de demain
Nos mémoires s’honorent de le savoir humain

Je vis le temps pâlir, grommeler sourdement
Me lancer un regard, se cabrer fièrement
Vexé, il m’insulta, puis d’un bond détala
Tout bouffi de colère, au loin il s’en alla
Depuis on ne le vit, jamais, je vous le jure
S’attarder en chemin et perdre la mesure
Ce fut la seule fois, depuis qu’il nous est né
Que malgré lui le temps vit son cours malmené

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