Hommage à toi, Victor Hugo
« Victor Hugo, hélas… »
Ainsi s’est exprimé GIDE à qui l’on demandait qui était le plus grand des poètes. Cet hommage, très personnel, n’exclut cependant pas mon admiration pour les autres grands de la poésie française ou internationale.
À mon ami, à mon maître,
Ton siècle avait deux ans et l’aube bien glaciale
En ce jour qui s’offrait une aurore nuptiale
À jamais associée à ton nom, à ta gloire
Besançon l’espagnole vint épouser l’Histoire
Lorsque d’un sang breton et lorrain à la fois
Humblement tu naquis en ce pays comtois
Hugo fut ton berceau ; on te nomma Victor
Et ce siècle impérial fit de toi son mentor
(Ce siècle avait deux ans)
Ému, respectueux, je me tiens devant toi
Comme un humble sujet qui fait face à son roi
Serait-ce par piété que ton fier créateur
De l’humain a voulu dépasser la grandeur
Lorsque sa main créa ton bronze dépoli
Impassible et sans voix, mais par ton souffle empli ?
Impassible ? Sans voix ? Non. Car tu n’es point silence
Pour l’humain que je suis, pas plus que n’est absence
Ton exil au grand ciel, car vois-tu, sourdement
Toujours tu es présence en mon cœur pleinement
Victor, toi mon ami, et toi Hugo, mon maître
Dieu que j’aurais aimé l’un l’autre vous connaître
Vous qui d’un même allant, inspirés et frondeurs
Cherchaient à transcender les idées et les cœurs
Esprits brillants et purs, refusant le paraître
Comme vous, je le sais, jamais ne pourrai être
Car sous un même front, tous deux en harmonie
Vivaient l’immense humain, l’écrivain de génie
Hugo, plume admirable, je te lis, je m’enivre
Que j’aime de ta vie parcourir le grand livre
Découvrir tous ces mots, sublime quintessence
Des combats, des amours de ta folle existence
Serait-ce égarement qu’en toi me reconnaître
Me parer de tes mots au risque de paraître
Prétentieux, orgueilleux, que dis-je, insolent
Alors que ton génie rend pauvre mon talent ?
Ici on rit de moi et ailleurs on me raille
Mais qu’importent le rire, le moqueur et sa gouaille
Qu’importe mon orgueil, qu’importe ma folie
Quand on sait le respect qui à ton nom me lie
Voilà pourquoi, Hugo, ma plume dérisoire
Vient vivre sa passion à ta noble écritoire
À toi l’ami Victor, âme noble et rebelle
Belle de ces combats que l’équité appelle
Brocardant ici-bas la justice illusoire
Dieu était cet ami qu’il te plaisait de croire
Implorant son appui, sans religion ni foi
De l’humain tu faisais ton credo et ta loi
Sais-tu mon vieil ami qu’il me plaît en ton sein
De voir en toutes choses un honnête dessein ?
Car toujours tu vivais la désobéissance
Avec ta conviction pour unique arrogance
Avouerais-je ici, je sais mon impudence
L’attrait pour une vie que j’admire et j’encense
Infatigable élan où l’être en sa passion
Sublime ses ardeurs, délaisse sa raison
Car il y eut l’Amour ! Jamais, ô déraison
Ce mot n’aura en toi fini sa floraison
Femmes au corps de chair, prêtresses souveraines
Muses en clair-obscur, de ta vie les marraines
Toutes passionnément à ton feu intérieur
L’amour auront vécu, en leur corps et leur cœur
Victor, toi plus qu’humain, rêveur en ta raison
La raison de ton cœur emplissait ta maison
Il faut chérir en soi, je le sais pour la vivre
L’enfantine candeur, utopie qui délivre
De l’ordre institué, et qui part à la guerre
Éradiquer le mal et délivrer la terre
Ainsi fut ton combat, inspiré de ces prêtres
Qui voulaient extirper le Satan de nos êtres
Aussi quand l’échafaud venait prendre aux humains
Des jours pourtant chargés de leurs faits inhumains
Crânement tu plaidais comme divine chose
Ta foi en une vie dont Dieu lui seul dispose
Mais la mort, vengeresse, sur toi jeta ses ombres
Et tu vécus des jours, des nuits, des heures sombres
Implorant, recherchant au ciel de son absence
Ta fille, cet enfant, redevenue silence
La douleur, je le sais, déchire les entrailles
Pourtant, tout comme toi, je crois aux retrouvailles
En ce pays là-haut où les âmes ailées
Attendent le retour de celles tant aimées
Devenus immortels, là où l’être ne pleure
Vous vivez désormais en la même demeure
De ta poésie…
Ah, ta poésie… mêlée au sang de tes veines
Tes joies et tes malheurs… de ton cœur les haleines
Noble dame inspirée, n’es-tu pas vérité
Quand tu puises en la vie ta force et ta beauté ?
Être toi, toujours toi; ainsi as-tu vécu
Par l’humain ou le sort, bienheureux ou vaincu
Je sais ta compassion, ta sensibilité
Devenue en ton cœur une noble piété
Allégeance suprême à l’humain exploité
Et pour ce peuple aimé souffrant sa liberté
Et là, tes mots, Hugo, des mots que rien n’arrête
Aux vents de tes combats soulevaient la tempête
Car l’écrit souverain perçant notre conscience
N’est-il pas cet écho, n’est-il pas la prescience
D’un esprit qui invite à faire de nos vies
Ce théâtre où nos voix ne sont plus asservies ?
Et ton œuvre…
Généreuse ! Immense ! Ta vie en fut le berceau
Et de ta destinée elle devint le joyau
Ton talent, ton génie, certes un don divin
Ont modelé ton être, ont forgé ton destin
Oui. « Aimer, c’est agir ! » En toi, point de peut-être
Car tes probes écrits engageaient tout ton être
Que de vies en ta vie… Que de chants d’espérance
Que de révolte aussi pour un peuple en souffrance
Et tous ces mots perçant l’ignorance et le noir
Bousculant sa conscience et lui offrant l’espoir
Venaient de toi, Victor, toi l’âme révoltée
Ont fait de toi, Hugo, cette plume inspirée
Car tant n’est point le mot qui jaillit et s’élance
Que la noble pensée qui lui donne naissance
Voilà pourquoi, en moi, par-delà l’écrivain
C’est l’homme tout entier que j’ai fait souverain
Et s’il vous est tenté d’isoler le poète
De ces engagements qui nourrissaient son être
C’est comme vivre un jour sans aurore et sans soir
Ignorant la passion, sans rêve et sans espoir
Ainsi ton œuvre, Hugo, des mots, toi le seigneur
Sans l’âme de Victor, n’aurait eu sa grandeur
L’homme et l’histoire…
Ô combien d’exaltés, combien d’êtres d’orgueil
Qui sont partis confiants sont couchés au cercueil
Dans le sombre horizon d’un pouvoir éphémère
Combien auront péri par une lutte amère
Dans un destin sans fond, de leur gloire déchus
Sous le temps oublieux à jamais disparus
(Oceano vox)
Si l’homme et son destin n’auront marqué l’Histoire
Que par ses ambitions, ses rêves sans victoire
L’Histoire de son sceau aura en désespoir
Forgé cet homme-là, jusqu’à son dernier soir
Mais l’ambition sincère n’est-elle pas admirable
Quand se cache en son sein, puissant, insaisissable
Altruiste en son dessein, ô vertu souveraine
Le respect transcendant de la valeur humaine
Tu as cru en le roi, l’empire magnifique
Pour épouser enfin la noble république
Toi la force qui va, du peuple le miroir
Le pouvoir t’a mené d’espoir en désespoir
Tu le sais maintenant, toi qui vois en nos êtres
Du haut de ton grand ciel, nos faux et nos paraîtres
Qu’il n’est en vérité de pouvoir souverain
Que l’amour qui sommeille en le cœur de l’humain
De ton exil…
Tu fuyais. Tu étais vaincu par ton audace
Pour la première fois leurs bras étaient menace
Sombres jours. Tu quittais ton pays, ta maison
Laissant derrière toi courroux et trahison
(L’expiation)
« Ô toi, engagement, vois où tu m’as mené
À ce funeste exil, me voici condamné »
Un échec, ton exil ?… On rirait de savoir
Que ta bouche ait pu dire ces mots de désespoir
Par la résignation, on te pensait atteint
On te croyait défait, on te voulait éteint
Non ! Point de reddition pour toi le patriarche
Qui souffrait le destin de notre monde en marche
L’exil ne fut pour toi ni mouroir ni tombeau
Il était liberté; il fut ton renouveau
Il a servi ta plume, il a servi ton nom
Il a grandi l’humain, décuplé ton renom
Tu étais bien trop grand pour cette terre infime
Et ton verbe engagé en sa prose et sa rime
Trop puissant lui aussi pour devenir otage
S’est offert en ce lieu un éternel hommage
Oui, l’exil t’a grandi. L’exil grandit toujours
Quand il se fait acteur du destin de nos jours
Puisse mon fol orgueil, lorsque l’épreuve tonne
Lorsque sévit l’offense et qu’elle m’emprisonne
Emprunter le chemin d’un exil intérieur
Vers cette île où fleurit la sagesse du cœur
Quelques mots encore…
J’ai fait un jour d’antan de toi la connaissance
Avec un vrai frisson, celui de ta romance
Où depuis, sourdement, au creux de mots profonds
Aux mêmes émotions tous deux nous nous chauffons
J’ai de suite, en secret, ô noble servitude
Pris cette familière et prenante habitude
Lorsque je suis penché sur mon écrit trop sage
D’implorer ton talent de nourrir mon langage
(Entrée dans l’exil)
Mon ami, le sais-tu ? Ton lyrisme fécond
Enchanteur, insolent, désuet ou profond
Dans un tendre murmure, comme un chant intérieur
En écho à ta voix vient enchanter mon cœur
Et toi, alexandrin, douze pieds et la rime
Je t’aime et t’ignorer, pour moi serait un crime
Alors, même commun, toi prince suranné
Jamais en mes écrits ne seras détrôné
Hugo, c’est moi encore… Écoute ma confesse
M’entends-tu t’implorer ? Entends-tu ma détresse ?
Toi par qui chaque mot rêve d’être asservi
Hôte de ton festin, par ton talent servi
Vois mes pauvres écrits subir l’inconvenance
N’être qu’ombre de toi, souffrir ton élégance
Sais-tu qu’au crépuscule, lorsque le jour s’achève
Avant que je ne sombre en sommeil et en rêve
J’invite elfes et djinns, démons de ton poème
À venir m’inspirer, rendre mon soir bohème ?
Alors parfois, béni, mais allez-vous me croire
Je sens me caresser, souffle sublimatoire
Comme un vent frais, léger ; et mon être frissonne
Je suis comme envoûté; à l’esprit je me donne
Serait-ce toi, Hugo, qui vient au vent du soir
Inspirer mon écrit, gommer mon désespoir ?
Et là, des mots de moi que ton talent féconde
Sur ma page ravie pour toi font une ronde
Puis rejoignent l’azur où brille ton aura
Qui entoure ton nom et toujours brillera
Écrire pour espérer changer le monde, n’est-il pas d’ambition plus noble que de s’élever au niveau de ses rêves ?