Monsieur Léon
J’ai coutume de professer que la vie a eu la grande sagesse de ne pas accorder la paroles aux animaux. (Voyez ce que les humains en ont fait!). Cependant, je sentais en Léon un profond besoin de s’exprimer, Orgueil ou frustration? Peu importe… Aussi, pour la circonstance, je me suis substitué à dame nature afin de lui permettre de s’exprimer, pour son contentement et pour notre plaisir.
Gilbert Thomas
De ma renommée
Oui… Pardon ?… Vous dites ne pas me connaître ?…
Allons !… Je suis vexé. Mais voyez mon maître
Qui vous assurera que je suis Beau Léon
Félin sans pédigrée mais néanmoins mignon
D’un roux tendre et discret, célèbre est mon pelage
Auquel le cinéma a rendu bel hommage
C’est moi que vous voyez dans ‘’Les aristochats’’
Elégant et racé, faisant mes entrechats
Naturelle est ma grâce et c’est avec brio
Que j’offre mon talent à ce beau scénario
Tenez ! Tendez l’oreille, écoutez avec moi
Cet air folk et dansant qui me met en émoi
Chaque fois l’émotion me prend intensément
Et fait battre mon cœur toujours pareillement
J’ai la voix qui s’emballe, ma tête dodeline
Qu’il est doux ce frisson qui bruisse en mon échine
Voyez ! Je vous le fais…
« C’est moi le beau Léon, beau dehors et beau dedans …. »
D’ailleurs, depuis ce jour, devenu immortel
Au panthéon des chats se dresse mon autel
Pourtant n’allez pas croire que chez moi la fierté
Se repaît à l’ego de ma célébrité
Je vous le dis tout net, j’ai cette modestie
Qui me fait rejeter une telle ineptie
Tout juste avouerai-je mon plaisir à flirter
Avec la renommée que je dois affronter
Depuis ce temps glorieux, dans la belle Provence
Comme une star je vis une folle existence
Signant royalement de mes pattes altières
Autographes en vers et photos cavalières
Oui, je fais le bonheur de mon maître chéri
Qui porte sur ma vie un regard attendri
Folle célébrité, ô monde libertin
Sais-tu que ta venue a changé mon destin ?
Mais toi, cruel destin, pourquoi ce vilain tour
Qui chassa de ma vie cuistrerie et glamour ?
De mon existence
Mais vous me permettrez, sans vouloir vous tenir
Sur mon auguste vie de vous entretenir
Par mon maître adoré, moi, pattes de velours
Je suis souvent nommé « Pantoufles de velours »
Je ne peux qu’apprécier cette fine allusion
Qui pour d’autres pourrait passer pour dérision
Car j’avoue volontiers ma belle dépendance
Au farniente doré que m’offre l’abondance
C’est qu’un gîte douillet et bien achalandé
Ont vite fait de moi un hôte affriandé
Mais je n’ai pas toujours, Dieu comme le temps passe
Été ce chat nanti qui mange et se prélasse
Vibrisses en beauté, pelage en rutilance
J’ai follement usé de ma noble prestance
Les minettes, eh oui, adorent les rouquins
Car il est bien connu que nous sommes coquins
Je ne fais, croyez-moi, que reprendre ces dames
Quand elles parlent de nous et se disent nos charmes
Et je fus, moi, Léon, leur ardent serviteur
Coquinou de première et séduisant charmeur
Depuis, j’ai pris du gras. Et puis quelques douleurs
Sont venues s’infiltrer en mes belles rondeurs
Eh non je ne puis plus aujourd’hui assumer
Ce rôle de seigneur qui les faisait pâmer
Pourtant je fus, jadis, le macho du quartier
Qui allait voir les filles, le pas fier et altier
J’avais réputation d’être grand bagarreur
La castagne et les coups ne me faisaient pas peur
Souvent mon corps portait de fort belles blessures
Qui de mes concurrents montraient les forfaitures
Bref, toutes les minettes ondulaient du croupion
En voyant s’approcher le corps du Beau Léon
Eh oui ! Je vous l’assure, laide ou bien carrossée
Plus d’une en tout honneur par moi fut engrossée
Ainsi, aurais-je pu pour longtemps m’étourdir
De cette folle vie qui me faisait jouir
Si un événement de toute gravité
N’avait mis une fin à ma virilité
De mon intimité
Il est, vous le savez, certaines confidences
Que l’on répugne à voir sujets de conférences
Aussi, ce que je vais ici vous dévoiler
Sur les réseaux sociaux ne doit se révéler
C’était un beau matin, au réveil de mes sens
Que j’ai senti en moi frémir comme un non-sens
Alors que je faisais une toilette intime
Je me suis aperçu que j’étais la victime
De la perte brutale, objets de ma fierté
Des attributs servant ma sexualité
Je n’avais plus ce jour mes belles amulettes
Deux boules bien en chair, soyeuses et rondelettes
Qui fièrement ornaient mon noble arrière-train
Et offraient à mon corps un fessier souverain
J’ai questionné mon maître. Il fut tout amusé
De me voir à ce point par la peine écrasé
Moi je dis haut et fort que ce vol crapuleux
Est le fait, c’est certain, de frustrés et envieux
Bien sur, j’avais compris qu’il arrive parfois
Que l’on perde ses boules, comme le cerf ses bois
Mais jamais de ma vie pareille humiliation
Ne pouvait arriver, à moi, le Beau Léon
J’avais la honte au front, mais ne pouvais passer
La journée à gémir, pleurer et ressasser
Dans la rue les amis se sont payé ma tête
Et de me voir tout nu se sont fait une fête
Maya, ma demi-sœur, sans la moindre élégance
M’a porté elle aussi, voyez son arrogance
Un regard attendri mais néanmoins moqueur
Qui a lui seul disait ce qu’était mon malheur
Moi, sans montrer mon mal, face à l’impertinence
Placide j’ai servi ma plate indifférence
Ainsi sont les amis, toujours prêts à sourire
Lorsqu’un injuste sort s’acharne à vous détruire
Depuis, je vis sans elles, et c’est leur souvenir
Qui souvent me les fait en songe revenir
Alors, dans un délire, par mon orgueil saisi
Je deviens ce félin que Disney a choisi
Oui, je nourris en moi ce rêve chimérique
A défaut d’avoir pu incarner l’authentique
De mon maître adoré
Il me faut maintenant parler sans retenue
De celui qui un jour m’a sorti de la rue
Mes pattes dans ses pas, je ne le quitte plus
De peur qu’il ne s’ennuie en ne me voyant plus
De la gamelle au lit, voilà l’itinéraire
Du trajet quotidien qui fait mon ordinaire
Parfois, lorsqu’il fait chaud, je vais m’expatrier
À l’ombre du figuier ou bien de l’olivier
Là je me fais bercer par la belle cigale
Qui chante tout le jour lorsque l’été s’installe
J’aime aussi m’endormir contre son corps d’humain
En laissant mon pelage à portée de sa main
Et lorsque de ses doigts je reçois la caresse
Je sais que c’est son cœur qui me dit sa tendresse
Alors, du fond de moi, je m’en vais ronronnant
Un tendre chant d’amour qui s’en va résonnant
En vérité, pourtant, je dois vous confesser
Que si je l’aime ainsi, jusqu’à le louanger
C’est que cette affection passe par ma gamelle
Matière inanimée mais pourtant bien réelle
Cette constatation, triviale et singulière
Pourrait paraître en soi osée et cavalière
Mais ce banal objet se présente en censeur
Tant est que son frichti m’apporte du bonheur
Vous l’aurez bien compris, la bonne nourriture
Fait partie de ma vie et sert bien ma nature
De ma gourmandise
Ce n’est pas un secret. Oui, je suis très gourmand
J’ai fort bel appétit et je vais consommant
Tout ce qui porte odeur, se suce ou se grignote
Dédaignant toutefois le vivant qui gigote
D’ailleurs, il vous suffit de voir mon embonpoint
Pour être assurément en accord sur ce point
Mais j’ai connu pourtant la divine attirance
Du mâle extraverti qui soignait sa prestance
Et puis il a fallu que je perde la chose
Pour que mon appétit subitement explose
Depuis, croyez le bien, ce n’est plus leur présence
Ni leurs yeux langoureux, ni leur magnificence
Qui me fait saliver et agite mon cœur
Mais plutôt un bon plat à la belle saveur
Il faut que vous sachiez qu’à l’heure des repas
Un fumet délicat me fait suivre ses pas
À sa table garnie toujours moi je m’invite
Même si en l’instant j’ai quitté bien trop vite
Ma gamelle remplie d’alléchantes croquettes
Exhalant le poisson ou les roses crevettes
Là, tout attentif, je me mets à mon aise
Avec le cou dressé et mon cul sur la chaise
Je reste ainsi rivé à tous ses mouvements
Qui partent de l’assiette pour aller à ses dents
Car parfois il arrive qu’un morceau de pitance
Parvienne jusqu’à moi par simple inadvertance
Mais il sait se montrer un humain généreux
Qui a pitié de moi et veut me voir heureux
Alors, instant béni, je vois mon ordinaire
Par un goûteux extra, être extraordinaire
Je vous parlais tantôt de dame gourmandise
Qui sévit fort en moi, quoique je fasse et dise
Et voici que parvient à ma sensible oreille
Un bruit réconfortant qui toujours me réveille
Vous avez deviné que c’est de ma gamelle
Objet dont j’ai choisi d’être sous la tutelle
Croquettes attirantes ou pâtée succulente
Laquelle de ces deux servira mon attente ?
Hélas, comme souvent, Maya la souveraine
Venue de nulle part profite de l’aubaine
Le museau englué, elle s’active à manger
De peur que son fréro vienne la déloger
Je pourrais, je le sais, dire ma pétulance
À la belle effrontée bouffie d’outrecuidance
Mais je suis gentleman et bien plus fainéant
J‘ose vous l’avouer, que je ne suis gourmand
Alors sur mon séant j’attends qu’elle s’en aille
Pour que mon ventre creux puisse faire ripaille
Ma bonté me perdra…
De ma fainéantise
Mais assez bavardé. Ma sieste est en souffrance
Terrestre enchantement, merveilleuse insouciance
Folle oisiveté que mon curieux destin
M’a offert en cadeau un funeste matin
Ma foi, de vous à moi, je ne regrette rien
De ce glorieux passé qui jadis fut le mien
Comme il est reposant, jouissif, transcendant
De se laisser siester quelques heures durant
Quand je songe aux copains qui s’agitent et s’épuisent
Tous les jours que Dieu fait, s’ils savaient qu’ils se nuisent
En tentant vainement du haut de leurs espoirs
De draguer ces beautés, là-haut, sur leurs perchoirs
Ma foi, point de regret envers mes amulettes
Ni pour ces jouvencelles et leurs belles gambettes
Et ce n’est pas demain ou même dans dix ans
Que je vais rechercher ces deux beaux chenapans
Je baille férocement…
Voyez ma lassitude. Veuillez m’en excuser
Et de votre patience, ne voudrais abuser
L’instant est solennel. Adressez-moi vos vœux
Afin que mon sommeil soit cool et bienheureux
Sincèrement, j’espère, que le vôtre sera
Aussi bon que le mien, et longtemps durera
À plus tard mes amis. Souffrez que je vous quitte
Mais déjà, en l’instant, de l’éveil je m’acquitte.
Léon